Le système monétaire actuel ou le mythe de la valeur – Troisième Partie

Succès et méfaits des monnaies Semi-Fiat

Nous avions promis, dans le billet consacré aux cryptos, une analyse plus détaillée des dysfonctionnements des monnaies fiat qui sera donc l’objet du présent article. Après une brève introduction sur la nature de la monnaie et l’institution de la monnaie royale, revenons, pour l’heure, à nos jours.

L’inégalité des revenus et des richesses au sein des pays, mais aussi entre les zones géographiques, ne cesse de croître.

La révolution industrielle a perdu beaucoup de son attrait en raison des ravages que la massification de la production-consommation engendre et dont on commence timidement à prendre la mesure.

Les grands mouvements migratoires de gens qui fuient la faim et la guerre vers l’occident deviennent un vrai problème, car ces flux migratoires restent encore aujourd’hui, la plupart du temps incontrôlés, mais surtout parce qu’il manque une réelle politique d’insertion de ces flux au sein des populations locales.

Pourquoi donc ? Les monnaies fiat n’auraient-elles donc pas maintenu toutes leurs promesses ?

La raison est toute simple : malgré l’abandon de la conversion de la monnaie en or en 1971, les monnaies fiat ont gardé les mêmes caractéristiques de la monnaie-or tant dans leur narration que dans la manière dont elles circulent au sein des économies modernes.

Monnaie fiat (crédit) dans sa version pure:

La monnaie peut être créée à tout moment pour répondre aux besoins de la société. Aucune épargne financière préalable n’est nécessaire.

Ce dont il faut absolument disposer en revanche c’est l’épargne de ressources réelles : femmes et hommes disposés à travailler, ressources naturelles, un tissu productif qui permette la transformation de matières premières en biens de consommation, une somme de connaissances et compétences qui permette la recherche et l’éducation.

Lors de la création d’une nouvelle unité de cette monnaie fiat personne ne doit renoncer à la jouissance de son épargne. Ceci est vrai :

  1. Au niveau gouvernemental : l’État crée de la nouvelle monnaie par la dépense publique sans rien enlever à personne. Bien au contraire, le déficit de l’État crée l’épargne financière nette du secteur privé, autrement dit la quantité de monnaie non grevée de dettes du secteur privé.
  2. Au niveau du secteur privé : la banque crée de la nouvelle monnaie par l’octroi du crédit et n’utilise jamais l’épargne des déposants. La banque commerciale crée donc elle aussi de la monnaie, mais celle-ci est par définition grevée de dette et n’est donc pas de l’épargne financière nette.

La symétrie est parfaite.

Observation importante : personne ne devant se priver de son épargne lors de la mise en circulation de nouvelles unités de monnaie il est tout à fait raisonnable de dire que le coût de cette monnaie, c’est-à-dire le taux auquel l’on emprunte, devrait correspondre uniquement au risque de crédit.

Quel est dès lors le risque de crédit pour l’État quand il distribue de la monnaie à sa propre population ?

ZÉRO, logique ! Tellement logique que c’est reconnu tant dans les lois nationales que dans les traités de Maastricht. Dès lors, quelle est la limite de monnaie que l’État peut créer en théorie ?

L’infini n’étant pas de ce monde, disons que la création monétaire de l’État est potentiellement illimitée, mais plus concrètement limitée par les ressources réelles et les connaissances disponibles au moment de sa création. L’État dispose d’une puissance de feu qu’aucun particulier ne peut prétendre avoir, c’est le monopoliste de la monnaie pour le dire dans les termes de la MMT.

Mais est-ce normal ou juste ? Oui, car tous les habitants de la Nation doivent pouvoir jouir des bienfaits de la production commune en fonction de leurs efforts. C’est bien pour cette raison que les êtres humains se sont depuis toujours constitués en groupes plus ou moins grands. Ils ont compris que ce que peut réaliser une communauté est de loin supérieur à la somme des accomplissements individuels.

Or, si l’on accepte l’existence et la nécessité de l’État, ce dernier bénéficie d’une puissance de création monétaire illimitée et à coût zéro.

Cette réalité comptable et juridique a tout simplement été cachée aux populations par le monde politique, les économistes de la doxa et les mass-médias. Si tout citoyen prend conscience de cette réalité alors et seulement alors les choix en matière de dépense publique seront l’objet d’un débat démocratique dans l’intérêt de la collectivité. La seule question qui reste ouverte est : quel rôle doit jouer l’État et quelles fonctions doit-il remplir pour le pays ? Ces choix devraient appartenir en dernière instance au peuple et à lui seul.

Petit excursus à propos de l’État.

Définition Larousse : Société politique résultant de la fixation, sur un territoire délimité par des frontières, d’un groupe humain présentant des caractères plus ou moins marqués d’homogénéité culturelle et régi par un pouvoir institutionnalisé. En droit constitutionnel, l’État est une personne morale territoriale de droit public personnifiant juridiquement la nation, titulaire de la souveraineté interne et internationale et du monopole de la contrainte organisée.

Ce que Larousse ne nous dit pas c’est que l’État, étant donné son monopole de la contrainte organisée, obtient aussi le monopole de la monnaie dans l’Histoire.

Pour le secteur privé, le risque de crédit n’est pas zéro, car tous les emprunteurs ne présentent pas un profil de risque identique. Cela dit, mis à part le crédit à la consommation, le taux moyen d’un portefeuille diversifié de crédits à l’économie réelle s’atteste aux alentours de 2,5 % sur le long terme et correspond à quelque chose près au taux de remplacement-substitution.

Comment la monnaie ainsi créée est ensuite enlevée du circuit économique, autrement dit détruite ?

La destruction de monnaie se fait :

  • Pour l’État : par la taxation ou par la vente si l’État est producteur et décide de vendre sa production au secteur privé.
  • Pour le secteur privé : par le remboursement du crédit.

Le tissu socio-économique se développe donc autour des valeurs qui sont propres à chaque communauté-nation sans contraintes extérieures à la volonté de la collectivité.

Monnaie-Marchandise dans sa version pure :

Qu’il s’agisse d’or, d’argent ou de n’importe quelle autre matière première vous comprendrez bien que : soit on en dispose, soit on n’en dispose pas.

Point à la ligne. Aucune création monétaire n’est possible ici. On peut donc disposer de gens qui désirent travailler et de ressources disponibles, mais rien, nada, niet, zéro : rien ne bouge tant que l’on ne fait pas d’abord monter le niveau de l’épargne, c’est-à-dire l’or dans les coffres.

Pauvreté, famine, ignorance, maladie, chômage, autant de problèmes que l’on ne pourra pas affronter tous ensemble, au mieux petit à petit et pour autant que l’épargne le permette.

Mais comment multiplier l’or qui se trouve dans les coffres d’une nation si aucun filon n’existe sur le territoire ?

La guerre ou l’export !

Si nous produisons suffisamment et que nous avons la bonne idée d’envoyer toute notre production à l’étranger, en nous serrant la ceinture, car il ne faut surtout pas consommer la richesse que l’on produit, nous recevrons de l’or en échange et l’année prochaine nous serons plus riches. Enfin certains d’entre-nous pour sûr et les autres pourront toujours espérer dans un geste de charité des riches qui disposeront de plus d’épargne. Vous commencez, j’espère, à y voir plus clair : la monnaie-marchandise impose des limitations au développement des sociétés humaines qui tiennent de la sociopathie-superstition pure et simple.

Des autolimitations imposées par une croyance que 5000 ans de narration de la monnaie-marchandise ont profondément inscrite dans les esprits et qui trop souvent, encore aujourd’hui en 2021, déplace le débat politique sur le terrain du mythe.

Ce n’est qu’après deux guerres mondiales et quelque cent millions de morts que la monnaie-marchandise a été officiellement abandonnée, malheureusement non complètement comme nous le verrons plus bas.

Un des corollaires non négligeables de cette conception de la monnaie est bien entendu la guerre, la nécessité de conquêtes de nouveaux territoires et une croissance infinie.

La monnaie métallique nait et se fonde sur la violence.

À cet égard, la saga du Seigneur des Anneaux est une magnifique allégorie de nos sociétés métalliques où tout devient marchandise, l’humain comme la nature.

Notre relation à la monnaie définit, consciemment ou pas, notre relation à l’autre et à notre environnement.

La monnaie est le moyen par lequel l’on doit se procurer la nourriture, un toit sur la tête, l’accès à l’éducation et à la santé, aux loisirs et au bien-être, mais avant tout autre chose « l’argent, c’est de la liberté monnayée » c’est notre temps et donc notre vie.

Si la monnaie est rare, il faudra donc se battre pour en avoir, ce qui nous transforme par nécessité en « Homo homini lupus ».

Mais poursuivons : imaginons donc qu’il me faille de la monnaie pour financer un projet magnifique, créateur d’emplois et novateur. Je dois nécessairement la demander à quelqu’un qui en dispose. Et même en admettant que celui-ci veuille bien me la prêter, il devra lui dans ce cas renoncer à son épargne pour le temps du prêt, il devra donc renoncer soit à une part de consommation soit à des investissements.

Observation importante :

Contrairement à ce que nous avons vu plus haut pour la monnaie-crédit, la monnaie ici ne peut pas être créée. Elle n’existe qu’en quantité limitée. Nous ne sommes tous que des « utilisateurs » de la monnaie, États comme privés. Mon utilisation de la monnaie implique la renonciation de quelqu’un d’autre à son utilisation.

Quel taux doit-il dès lors s’appliquer à l’utilisation de cette forme de monnaie pour l’État et le Privé ?

Admettons par simplicité que le risque de crédit de l’État reste proche de zéro grâce à son pouvoir de confiscation qui est l’impôt, il n’en reste pas moins que l’État devra emprunter les sommes dont il a besoin auprès du secteur privé ou de l’étranger.

Les prêteurs doivent donc être récompensés pour la privation de la jouissance de leur épargne, c’est ce que l’on appelle un coût d’opportunité ou de renonciation.

De la même manière pour les prêts au sein du secteur privé le risque de crédit se doit d’être doublé là aussi de ce coût d’opportunité.

Ce coût d’opportunité devrait, selon les partisans de la monnaie-marchandise pure et dure (Monnaie Pleine, Positive Money, The Chicago Plan revisited du FMI & Co), être libre : c’est-à-dire librement négocié entre prêteurs et emprunteurs comme toute autre marchandise qui obéit à la loi de l’offre et de la demande.

C’était bien le cas à nos latitudes pendant des centenaires et c’est encore hélas, le cas dans les pays les plus pauvres d’Afrique où les grands déposants, la plupart du temps des Occidentaux, des Chinois et des Indiens, décident à quel taux ils consentent à être rémunérés sur leurs dépôts en monnaie locale, et ce n’est ni du 5 % ni du 10 %…

Depuis la création des Banques Centrales en occident néanmoins ce coût a été codifié et imposé unilatéralement par celles-ci. Nous le connaissons donc comme le Taux directeur de la banque centrale ou Loyer de l’argent.

En France par exemple ce taux semble se situer en moyenne sur les 200 dernières années aux alentours de 6 % :

Source : AEF – Les taux d’intérêt en France : une perspective…

Notez le pic de 1980 qui marque le début de la grande vague néolibérale partout en occident, donc à une période théoriquement déjà de monnaie fiat.

Un petit calcul que je vous conseille de garder à l’esprit pour avoir une meilleure idée de la puissance de l’intérêt composé, calcul qui malheureusement n’est pas du tout intuitif : Combien rapporte un placement à 6 % annuels sur 200 ans sans risques ?

La réponse intuitive serait 200 x 6 = 1 200 %

Eh bien non, il s’agit en fait d’une exponentielle :

1,06200 = 11 512 490 %

Comme vous pouvez le voir, le rapport est d’un tout autre ordre de grandeur. Eh bien ce taux qui est pratiqué encore aujourd’hui, malgré nos monnaies fiat, explique à lui tout seul pourquoi 85 personnes dans le monde ont une richesse supérieure au restant 50 % de la population mondiale.

Pour clore ce paragraphe, résumons les points importants :

  1. État comme privés ne sont que des « utilisateurs » d’une monnaie non extensible.
  2. Le développement de la communauté n’est possible qu’à condition qu’une épargne monétaire soit préalablement acquise, sans quoi même face à une pléthore de disponibilités réelles aucune activité économique ne peut être entreprise.
  3. Le coût de l’emprunt se doit d’être doublé d’un coût d’opportunité ou de renonciation. Notons au passage que le coût d’opportunité moyen est très largement supérieur au risque de crédit, un peu plus du triple sur les 5000 dernières années :
Source: Bank of England, Global Financial Data, Homer and Sylla « A History of Interest Rates » (2005)

La monnaie-marchandise n’a très probablement jamais existé dans la réalité, il ne s’agit que d’un mythe. Vous imaginez un pharaon, Alexandre le Grand, Jules César, Hitler, Mussolini ou Staline mettre un frein à leur agenda politique par manque de monnaie ? L’État a toujours eu le choix de battre sa monnaie, dans l’antiquité comme de nos jours. L’idéologie qui se cache derrière la monnaie-marchandise, à savoir la soi-disant rareté et le coût dérivant de cette rareté, a cependant allégrement traversé les siècles et encore aujourd’hui en 2021 permet de diriger le monde d’une main de fer.

Voyons donc pourquoi les monnaies fiat ne sont qu’en apparence des monnaies fiat.

Le monde politique a continué à représenter la monnaie comme une denrée rare, aidé en cela par les économistes du courant dominant, la presse et les médias, tous horizons et tendances politiques confondus.

« Il faut faire des choix importants » « Si l’État dépense trop, l’avenir des générations futures sera compromis par le fardeau de la dette » « Il n’est pas certain que l’on puisse encore assurer les retraites à l’avenir sans une réforme » « si l’on sauve la Grèce le fardeau de leur dette insoutenable sera porté par les Allemands et les Français »

Ce sont autant de phrases que tout citoyen français, italien, grec, espagnol, mais aussi américain, suisse et allemand a entendu à répétition depuis… toujours en fait. La version officielle est donc restée inchangée depuis… toujours, et c’est celle que tous nous connaissons depuis notre enfance :

L’État finance sa dépense par l’impôt ou par le recours à l’emprunt.

Juste ? Non faux sinon à quoi bon être passés à une monnaie fiat.

Et là, il faut dire un grand merci à la MMT qui s’est donné la peine de mettre son nez dans l’analyse des flux de la comptabilité nationale.

La vérité est, depuis l’avènement des monnaies fiat :

L’État crée de la nouvelle monnaie par la dépense publique et détruit la monnaie existante par la taxation.

Que cela veut-il dire au juste ? Que l’État peut, s’il veut, créer autant de monnaie qu’il entend, il n’a aucune contrainte financière à respecter.

Sauf dans l’UE avec l’€, mais là aussi il s’agit de choix politiques et non de contraintes réelles.

Le plein emploi et le rehaussement du salaire minimum sont atteignables en tout temps s’il y a volonté politique.

La différence entre création de monnaie par l’État, dépense publique, et destruction de monnaie, taxation est enregistrée sous le nom de :

Déficit du Secteur public = Surplus du Secteur privé (nous)

La somme des Déficits annuels est enregistrée sous le nom de :

Dette Publique = Richesse Nationale Privée

Ce que l’on appelle avec abus de langage dette publique n’est autre qu’un chiffre qui capture l’ensemble de la création monétaire faite par l’État pour ses citoyens au fil du temps pour toutes ses réalisations : Écoles, Routes, Hôpitaux, Recherche, Enseignement national, Santé publique, Ordre public, etc. y compris le paiement des intérêts sur la dette, seule création monétaire inutile et source d’inégalités.

Mais alors cette dette se doit-elle être remboursée ?

JAMAIS

Tant que l’État existe, il n’y a pas lieu de rembourser quoi que ce soit étant donné qu’il ne s’agit pas de dettes, mais de création monétaire décrétée par le législateur dont la contrepartie se trouve dans l’infrastructure, l’éducation, les hôpitaux, les universités, etc. Seul un pays qui déciderait d’aller vers le TOUT PRIVE pourrait effectivement vouloir rembourser sa dette… vous commencez à y voir plus clair ?

Mais alors pourquoi les États, tous, continuent en 2021 à émettre des titres de dette, les obligations d’État ?

Deux raisons :

  1. Prolonger le mythe de la rareté : nous devons chercher à nous financer sur les marchés, les marchés ont remplacé l’or.
  2. Permettre à la banque centrale de mener une politique monétaire, autrement dit de fixer de manière totalement arbitraire un prix pour le loyer de l’argent, notre fameux coût d’opportunité inexistant dans le cadre des monnaies FIAT.

Si en effet l’État arrête de produire de la monnaie pour le paiement des intérêts sur sa dette, la banque centrale ne pourra plus implémenter une politique de taux positifs.

Pour conclure, le régime monétaire actuel est un hybride dysfonctionnel :

  • 1) La création monétaire est bien la résultante d’une décision et correspond en cela à la définition de monnaie fiat, ce qui nous a permis de disposer globalement de plus de numéraire. Décision politique pour l’État et d’un comité de crédit pour la banque. C’est donc une vraie monnaie-crédit à sa naissance.
  • 2) Elle ne circule pas pour autant comme telle au sein de nos économies modernes. Elle est encore et toujours présentée comme rare par le monde politique ce qui empêche d’atteindre le plein emploi, mais pas de payer des intérêts, et son coût bien que très bas depuis la dernière grande crise financière n’est pour autant pas nul.

Finalement, nous y voyons clair, nous vivons dans un monde où la monnaie est produite gratuitement et sans réelles contraintes puis taxée à prix d’or… À qui cela peut-il profiter ?

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