Bitcoin et autres cryptos: Essayons d’y voir clair

Les crypto monnaies étant un débats des plus animés qui soient et ne cessant d’attirer l’attention d’un nombre croissant d’intervenants, je vous livre quelque réflexion qui, je l’espère, puissent aider à une meilleure compréhension du phénomène. Il va de soit que parler du Bitcoin nous oblige à affronter d’autres questions bien plus sérieuses que la crypto monnaie, dont justement celle de la « Monnaie ». Non seulement.  La crise sanitaire et économique causée par la pandémie du Sars-Cov2 à fait exploser les comptes Nationaux à l’échelle planétaire remettant au centre du débat la question de la « viabilité » des dettes Nationales. On discute d’ailleurs depuis quelque temps de l’idée d’effacer une certaine quantité des dettes nationales détenues par la BCE.

Les QE (quantitative easing), qui étaient déjà en place depuis la dernière grande crise financière de 2008, ont connu parallèlement à l’explosion de la dette publique une accélération telle que le citoyen ordinaire s’amène à se demander : mais d’où sort toute cette masse d’argent ? Ne va-t-elle pas déclencher à terme une inflation digne de la république de Weimar ? Que « vaut » notre argent ? Que dois-je faire avec mes économies ? Acheter des actions, des matières premières, de l’Or, de l’Argent ou du Bitcoin pour préserver mon pouvoir d’achat à l’avenir ?

Les inégalités, tant salariales que de richesse, qui étaient elles aussi déjà bien présentes avant la crise du Covid se sont encore plus creusées que ce soit à l’intérieur des pays riches mais aussi entre les « Nords » et les « Suds » de la planète.

Ci-dessous l’évolution des bilans des principales Banques Centrales en % du PIB.

Source: Haver, Bloomberg and Reserve Bank of New Zealand.

Un des grands arguments de vente du Bitcoin est que la « débauche » actuelle des monnaies FIAT va inévitablement conduire à leur perte et qu’il faut ramener au centre du débat l’idée de rareté du stock de monnaie, ce que le Bitcoin assure par sa création limitée à un seuil idéal maximum, qui soit aussi décentralisée (en dehors du contrôle et de la volonté des états) et non saisissable (ce qui est assuré par la « chaîne » et son cryptage).

Une sorte de rébellion de David, le peuple des Bitcoiners, contre Goliath ,les Etats grands méchants. Ce qu’ils sont effectivement hélas mais PAS pour les raisons défendues par les Bitcoiners. D’où l’importance VITALE de bien comprendre les phénomènes pour éviter de tomber dans le piège de l’hyper simplification qui conduit inévitablement à faire les mauvais choix.

Il était important je crois de contextualiser le débat qui fait rage ces jours car la hausse spectaculaire du Bitcoin serait difficilement explicable en dehors des événements post-Covid et de la confusion qui règne souveraine au sujet des questions monétaires.

US M3 :

Source: Organization for economic co-operation and development-Fred.org

BTC / USD

Source: tradingview.com: BTC/USD

Pour plus de détails sur le mauvais fonctionnement des monnaies FIAT je vous proposerai bientôt la lecture d’un article spécialement dédié à celles-ci, parce qu’une seule chose est vraie dans les arguments des Bitcoiners, les monnaies FIAT sont bel et bien dysfonctionnelles.

On se limitera ici à admettre que le système de monnaies FIAT soit parfait pour expliciter la compréhension des cryptos.

Commençons avec quelque définition des notions de valeur et de contrats que l’on peut aisément retrouver sur le net sans besoin d’être un juriste-économiste chevronné (que je ne suis pas) et procédons avec la simple logique.

Définition de Papier-Valeur :

« Un papier-valeur est un document matériel ou immatériel, actif financier, titrant un ou plusieurs droits incorporés de façon qu’il est impossible de les faire valoir ou de les transférer indépendamment du titre. Le titre peut se référer aussi bien à une valeur mobilière portant sur un droit de propriété ou de créance qu’à une valeur immobilière portant sur un droit de créance garantie par un gage immobilier. »

Important à retenir ici, pour posséder de la valeur, un titre ou un token, doit incorporer un droit ET un engagement ferme de l’émetteur du titre. C’est un contrat qui lie deux parties de manière irrévocable et dont les termes sont connus d’avance.

Quelques exemples de Papiers-Valeurs

La monnaie (USD, €, JPY Etc…)

Sur son territoire le Souverain (l’Etat) fait crédit de sa propre monnaie à ses sujets et s’engage à accepter cette et cette seule monnaie pour solder l’impôt. La monnaie incorpore donc un droit qui est celui de pouvoir rembourser sa dette fiscale dans cette et cette seule monnaie. Par dérivation, tout un chacun (citoyens et entreprises) se devant de « solder une certaine dette fiscale » la monnaie acquiert la propriété de revendication juridique sur la production de bien et de services d’un territoire donné. C’est bien pour cela que l’on accepte universellement la monnaie du Souverain (l’Etat) en échange de notre travail et/ou notre production dans un espace géographique donné.

Les obligations d’entreprise

Les obligations sont des titres de créances, émises généralement par les sociétés pour emprunter des fonds sur les marchés. En souscrivant à une obligation, on prête donc à l’organisme émetteur. On reçoit en contrepartie un intérêt annuel avant d’être remboursé au terme de l’emprunt. De nouveau on retrouve ici une notion de valeur attachée à un titre par un contrat : un droit et un engagement.

Les actions d’entreprise

Une action est tout simplement une part de la propriété d’une entreprise. L’action représente un droit sur l’actif et le bénéfice. Plus on achète d’actions, plus l’intérêt qu’on détient dans l’entreprise est grand. Encore une fois le titre incorpore un droit et un engagement. La société XYZ cède une partie de son capital pour obtenir du financement.

ll existe encore d’autres formes de papier-valeur mais je voulais ici lister les plus connues et importantes à des fins de démonstration.

Que se passe-t-il d’un point de vue économique entre la création du droit (émission du titre) et son extinction (remboursement).

Pour simplifier la compréhension, nous ferons ici l’hypothèse que tout se passe bien et sans litiges.

La monnaie (USD, €, JPY Etc…)

Entre l’émission de monnaie (dépense de l’Etat) et sa destruction (taxation) cette monnaie aura servi à créer de la richesse économique pour la collectivité. Exemple : la construction d’un tunnel et par la suite sa taxation sous la forme de péages. Mais on peut en dire autant du paiement du salaire d’un professeur qui permet à la communauté de s’émanciper grâce à la connaissance ou d’un médecin dont tout le monde aura pu apprécier l’importance en ces temps de pandémie. En conclusion : le contrat social incorporé dans la monnaie permet la création de richesse pour la communauté qui partage cette monnaie. La monnaie n’est ici plus garantie par l’Or comme dans le passé mais par la création de richesse (biens matériels et immatériels et services) de la communauté en question, c’est-à-dire des femmes et des hommes qui jour après jour avec leur travail contribuent à cette création, à l’exception des intérêts payés sur la dette publique qui ne sont qu’une pure création monétaire sans contrepartie productive. C’est une des raisons pour lesquelles je disais en ouverture que le système monétaire se doit d’être modernisé car il ne devrait plus répondre depuis plusieurs décennies déjà à la logique de la monnaie-or.

Les obligations d’entreprise

Une entreprise demande des capitaux sur les marchés pour financer des projets d’investissement généralement importants. De nouveau il nous faut rester dans la simplicité pour comprendre les aspects conceptuellement importants, nous savons tous que la réalité est autre chose et de nouveau ici comme plus haut, le système monétaire se doit d’être modernisé. Mais revenons sur le point, l’entreprise XYZ utilise les capitaux de l’emprunt pour moderniser son appareil de production ce qui lui permettra d’avoir des meilleurs produits à des coûts plus faibles. La aussi entre la création du droit et son extinction il y eu création de richesse économique, développement technologique etc…cette fois au sein du secteur privé.

Actions d’entreprise

Si les conditions de crédit sont trop contraignantes et/ou le risque encouru trop grand pour être financé par du crédit, une société peut décider de céder une partie de son contrôle à des investisseur externes pour pouvoir se développer. Une fois encore entre la création du droit (vente des actions) et son extinction (rachat d’actions) il y eu création de valeur économique.

Que valent donc les euros, les dollars US et les Yen japonais.

Il faudrait pour en avoir une idée comparer, par exemple, pour la zone euro le total des engagements financiers représentatifs de la monnaie FIAT (dettes nationales + total du crédit bancaire), qui est un stock, à la valeur de : immeubles, usines, routes, parc nationaux, musés, ouvres d’art, créations intellectuelles, création matérielles, brevets, terrains et qualité des productions agricoles, écoles, universités, hôpitaux, centres de recherche etc. Mais plus important encore de la somme de compétences et de connaissances  des 340 millions d’habitants de la zone €. Si l’on peut facilement estimer les engagements financiers à hauteur d’environ 25’000 milliards d’euros, la deuxième composante est bien plus difficile à estimer mais elle se situe vraisemblablement dans une fourchette entre 250’000 et 500’000 milliards d’euros. Cela ne veut pas dire qu’un euro en vaille dix attention, cela veut dire qu’une valeur économique et sociale dix à vingt fois supérieure à la somme des créations monétaires sert de garantie implicite à cette même création monétaire. Que des améliorations importantes doivent être apportées et en grande vitesse au système monétaire-financier actuel a déjà été dit, mais soutenir que les monnaies FIAT n’ont pas de valeur est totalement faux. Elles ne sont pas/plus convertibles en or ou argent, grâce à Dieu, ni même en d’autres devises (une dette en € doit être remboursée en €, il en va de même pour le paiement des impôts) mais elles ont bel et bien une valeur. 

Quid du Bitcoin & Co

L’émetteur de cryptos monnaies ,la communauté des Bitcoiners, ne s’engage à rien du tout si ce n’est qu’à vous permettre de générer votre clé de chiffrement pour ensuite pouvoir échanger vos coins. Votre droit n’est donc que celui de posséder une clé de chiffrement qui vous permet d’avoir accès à la « chaîne » et d’y mémoriser vos transactions en crypto monnaie. En aucun cas vous pourrez lui demander un remboursement en €, $ ou JPY, ni des intérêts, ni des coupons, ni aucune forme de participation aux bénéfices futurs, étant donné qu’il n’y en a pas.

Puis-je forcer (faire valoir un droit) la France, les Etats-Unis ou le Japon à accepter mes Bitcoins pour solder mes impôts ? Non

Puis-je forcer un privé, un commerçant ou une entreprise à accepter mes Bitcoins pour solder mes dettes et/ou acheter des biens et des services ? Non

Les cryptos monnaies ne rentrent donc pas dans la catégorie de Papiers-Valeur.

Que sont-elles alors ? La définition qui mieux s’applique à cette création qui se situe à la frontière entre le mythe et la technologie est celle de marchandise dématérialisée ou digitale.

Bon c’est déjà mal parti, elles s’autoproclament des monnaies mais il ne s’agit que d’une marchandise…qui n’est même pas une marchandise stricto sensu…continuons.

Que se passe-t-il d’un point de vue économique entre la création de la crypto monnaie et sa vente? Ne s’agissant pas d’un droit mais d’une marchandise il faut l’étudier à l’instar du commerce de l’Or, de l’Argent ou de toute autre matière première.

Sa création s’inspire ouvertement de l’extraction de l’Or, on appelle d’ailleurs les fabricants de Bitcoin des « mineurs ». Le mineur doit en ce cas résoudre un problème cryptographique complexe et sa récompense est l’objet de tous ses désirs : les fameux Bitcoins. Le nombre de mineurs est estimé à ce jour à un million et leur récompense décroit avec les temps car comme pour l’Or le Bitcoin ne peut pas dépasser un seuil limite, mais pour l’Or ce seuil est réel et pour le Bitcoin fixé dès le début à 21 millions d’unités, soit…

La crypto est donc créée par les mineurs qui la vendent ensuite à la communauté ou les gardent en partie, peu importe.

Que s’est-il passé entre la création du bitcoin et sa prochaine transaction ? rien du tout si ce n’est de produire une marchandise virtuelle pour ensuite la revendre au prochain dans la chaîne.

C’est un exercice qui est une fin en soi. Certes des gens travaillent et consomment des quantités inimaginables d’énergie pour sortir le prochain Bitcoin du ventre d’un ordinateur, mais aucune création de richesse ni publique ni privée ne sort de là mis-à-part la création du Bitcoin lui-même.

La seule activité réelle derrière les cryptos est que des privés s’échangeant volontairement leur épargne en espérant ainsi devenir millionnaires, comme si cette épargne échangée à des prix différents pouvait par miracle se démultiplier, ce qui est plutôt original comme raisonnement circulaire. Il s’agit d’un jeu à somme zéro, pour un gagnant il doit y avoir un ou plusieurs perdants. C’est le principe d’un jeu de loterie, mais au moins dans les jeux de loterie les règles sont claires.

Quelle « valeur » a donc le Bitcoin ?

A. Ce n’est pas un papier valeur, donc aucune valeur intrinsèque

B. Ce n’est pas une vraie marchandise, donc aucune valeur intrinsèque

C. Il a uniquement la valeur que le prochain acheteur voudra bien lui donner en payant le prix qu’il sera disposé à payer.

Si le Bitcoin ne tombe pas strictement dans la catégorie d’un schéma de Ponzi car ces derniers promettent des rendements imaginaires, il s’y rapproche beaucoup mais la technique utilisée ici ressemble plus à celle utilisée par le passé par Herbalife (ventes pyramidales et autres MLM) où le but du jeu pour continuer à gagner est de recruter de nouveaux entrants qui sont ici attirés par des gains en capital mirobolants. Les gouvernements laissent faire pour l’instant, ce qui est inquiétant à vrai dire, mais vue la proportion atteinte par cette bulle de 1000 milliards USD, qui n’a peut-être comme précédent historique que celle des bulbes de tulipes en 1630, ils se devront bien d’intervenir pour sauver l’épargne de millions d’investisseurs naïfs qui vont tôt ou tard se retrouver sans épargne et avec une série de données cryptées qui ne vaudrons même pas le prix de la clé dans laquelle elles sont stockés.

Quid si une ou plusieurs multinationales devaient adosser une partie de leur production au Bitcoin ou une autre crypto monnaie ? Elles donneraient aux cryptos une vraie substantialité. Les multinationales sont déjà des Super-Etats sans frontières géographiques et ont déjà toutes leur banques, il ne leur manquait pour compléter l’œuvre que leur monnaie.

La plupart des adhérents aux crypto monnaies sont probablement naïvement convaincus de la force novatrice et révolutionnaire de ces dernières, d’autres simplement attirés par les gains, mais ceux qui ont conçu, poussé et financé ces réseaux et les thématiques de fonds relatives à une supposée vertu d’une monnaie rare  poursuivent vraisemblablement un agenda beaucoup plus inquiétant.

Je partage avec la communauté des Bitcoiners une inquiétude grandissante à propos des inégalités de richesses, la précarité de l’emploi même dans des zones économiques riches et puissantes telles que la zone euro et un profond besoin de décentralisation qui nous permette enfin d’avoir une voix et ne plus subir des décisions unilatérales prises au nom d’une soi-disant nécessité économique-financière.

Mais il nous faut pour cela trouver les bonnes réponses et éviter de tomber dans le piège de la simplification. Or les crypto monnaies non seulement ne sont pas une réponse efficace à ces inquiétudes, mais elles reproposent un mythe dangereux et séduisant, celui de la rareté de la monnaie. Ce mythe a permis depuis les temps des Pharaons jusqu’à nos jours l’asservissement de l’Homme et de la nature aux lois du marché qui ne sont autre en réalité que les désirs d’une minorité aisée.

Le fait que cette thématique ait connu autant de succès est donc particulièrement inquiétant car cette nouvelle tentative de séduction néolibérale a visiblement réussi. Ce qui est rare et précieux ce sont les femmes et les hommes, la terre et tout le vivant, pas la monnaie.

Mon intention avec ce billet est de réveiller la conscience de tous les Bitcoiners de bonne foi en les invitant à une réflexion plus profonde sur la réelle cause des maux qui gangrènes nos sociétés. En adhérant à la thématique des cryptos ils font hélas le jeu de ceux contre qui ils pensent se révolter.

Dans l’espoir d’avoir apporté une modeste contribution à la réflexion sur les cryptomonnaies, je me réjouis de vous retrouver lors d’un prochain article.

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