Le système monétaire actuel ou le mythe de la valeur – Première Partie

Monnaie Fiat: du Latin FIO (Devenir) 3e personne du subjonctif présent FIAT = Qu’il soit fait, comme une expression de la volonté humaine, une décision délibérée

Voyez déjà la beauté et la finesse dans le choix des mots et des temps, et oui les mots sont importants. « Qu’il soit fait » est ici choisi pour parler de la monnaie, « que la Monnaie soit »: sa création est donc décrétée par l’expression de la volonté humaine, c’est une décision délibérée, un ordre et donc une loi. Le subjonctif présent quant à lui est choisi pour nous rappeler la « subordination » de la monnaie à la volonté humaine et donc à la VIE. Mais le subjonctif est aussi le temps de l’incertitude, du « libre arbitre » : la création monétaire est finalement libérée de toute contrainte « extérieure » à l’humain, mais l’utilisation que l’on en fait peut engendrer le meilleur des mondes comme le pire. Les gens qui ont pensé tout ça étaient assurément des génies illuminés, tout y est magnifiquement symétrique et balancé. Si vous comprenez cela, vous êtes déjà sur le bon chemin.

Les monnaies Fiat ont remplacé dans le monde moderne la monnaie or, ou monnaie marchandise, qui était officiellement en vigueur par intervalles irréguliers de 1400 environ jusqu’à la moitié du siècle dernier.

La date de l’abandon de la conversion de la monnaie en or est variable d’un pays à l’autre, 1940 pour le Canada, 1971 (à vrai dire 1933) pour les USA, 1936 pour la France, etc.

Il nous faut bien l’admettre, le passage de la monnaie or (marchandise) à la monnaie FIAT (Crédit) aura permis une création de richesse qui est un véritable saut qualitatif et quantitatif comme jamais auparavant nous ne l’avions observé dans l’histoire de l’humanité.

À bien y réfléchir, pour quelles raisons les sociétés humaines voudraient-elles librement lier la création monétaire à une marchandise existante sur Terre dans des quantités limitées telles que l’or ou l’argent ?

Pensez que seulement 200 ans en arrière nous étions moins d’un milliard sur Terre et que nous sommes aujourd’hui dix fois plus:

Source: OurWorldinData.org

Mais encore, quel rapport raisonnable peut-il exister entre un amas d’atomes présent en certaines quantités sur Terre et la création humaine: la musique, la littérature, la poésie, la peinture, le théâtre, la recherche scientifique, l’enseignement, la médecine, la manufacture, etc.? La réponse est simple : AUCUNE. Il n’y a absolument rien qui lie les métaux précieux à l’activité de l’Homme si ce n’est le mythe de la monnaie or qui oriente malheureusement la doxa des sociétés occidentales depuis hélas trop longtemps.

La « science » économique orthodoxe fait totalement abstraction de la monnaie pour le développement de ses modèles, elle estime la monnaie neutre, mais est-il vraiment possible de procéder de la sorte ?

Quand on parle de formation de capital fixe, par exemple, il est défini comme « l’ensemble des actifs corporels ou incorporels destinés à être utilisés dans le processus de production pendant au moins un an (ce sont des biens durables) ». Ce sont des biens réels certes, mais pour se les procurer une entreprise, un privé ou même l’État se doit d’utiliser de la monnaie.

Vous comprendrez dès lors qu’analyser sans préjugés et de manière objective « comment » et à quelles « conditions » on peut se procurer cette monnaie devient essentiel pour comprendre le fonctionnement même de l’économie. La monnaie est-elle vraiment neutre ? Un « grand » économiste m’a une fois répondu: « Plus largement, attribuer à la monnaie toutes les calamités de la Terre est étrange. ». Et bien non, la monnaie n’est pas neutre, loin de là.

La monnaie est sans doute une invention de génie, elle permet de capturer la réalité socio-économique qui nous entoure dans des chiffres, de la quantifier, la planifier, la modéliser, de créer des attentes rationnelles dans un monde incertain. Nous pensons notre avenir en termes monétaires, nous travaillons pour cette unité de compte, elle dessine quotidiennement les contours de notre façon de nous rapporter à la société, aux autres. Tous les jours, les médias nous parlent de « dette » publique, de comment les États vont pouvoir faire face aux énormes pertes dues à la pandémie de coronavirus. Comment ferions-nous à nous orienter dans un monde sans monnaie ?

Elle est ce pour quoi une économie complexe faite de productions et d’échanges prend forme. Sans cette invention qu’est la monnaie, les grandes civilisations du passé n’auraient pas pu exister, le monde moderne encore moins.

Essayons donc de cerner autant que puisse se faire la nature de la monnaie.

Les fonctions que l’on assigne généralement à la monnaie sont au nombre de trois que je vous énumère par ordre d’importance :

1. Moyen d’échange : c’est de loin la plus importante fonction de la monnaie et sa raison d’être première.  

2. Unité de mesure / unité de compte : pour permettre l’échange la monnaie doit évaluer aussi précisément que possible la valeur qu’elle représente de manière abstraite, cette « unité » sera donc la résultante de la « découverte du prix ». Pour « combien » d’unités de mesure suis-je disposé à céder ma production de lait ? Théoriquement dans un marché libre cette formation du prix, et donc de l’unité de mesure, se fait par le biais de la loi de l’offre et de la demande. On en retire déjà l’idée que cette mesure de valeur n’est valable qu’à l’instant T où elle s’effectue.

3. On nous a toujours dit : Réserve de valeur.

Et là ça devient quelque peu épineux. Comment la monnaie qui est l’unité de mesure de la valeur peut-elle en même temps être la valeur qu’elle mesure ? Le mètre que nous utilisons pour mesurer la longueur d’une route n’est pas la route. Admettons par exemple que notre route soit l’ensemble de l’économie d’un territoire. Si un éboulement devait réduire de moitié la route, l’unité de mesure se doit d’enregistrer cet événement catastrophe. Nous avons vu que la monnaie est une représentation mentale et abstraite de ce que nous êtres humains déterminons avoir de la valeur à un moment donné T et son rôle est de « capturer », rendre numérique, cette valeur à ce moment précis. Or cette notion même de « valeur » change constamment et parfois même radicalement au travers des âges, en fonction de la période historique, des avancées de la technologie, des connaissances et des goûts. Qui plus est les objets de la production humaine changent radicalement. Ce que peut acheter un dollar en 2021 n’existait même pas en 1885. Un tourne-disque portable 45 tours qui plaisait beaucoup en 1970 ne trouve guère preneur de nos jours à l’exception de quelques nostalgiques. En France jusqu’en 1936 les congés n’étaient pas payés et les gens travaillent 48h par semaine. En 2021 les congés sont payés et les gens travaillent 35h par semaine.

Comment dès lors la monnaie qui se doit de mesurer ces changements pour être une bonne unité de mesure pourrait-elle passer les siècles en gardant sa « valeur » ? Quelle valeur ? Celle de 1870 ou de 2021 ? Tout au plus elle peut garder une « valeur » plus ou moins stable sur quelques décennies si les changements de la structure socio-économique productive ne bougent pas trop vite et que la démographie est à peu près stable.

Disons donc qu’elle se doit de garder une valeur « relativement » stable pour un temps « suffisamment » long à permettre la création d’attentes rationnelles, quelque décennies tout au plus.

Ses caractéristiques sont importantes, mais elles ne nous en disent pas plus sur la nature de la monnaie. Je vous invite donc à une réflexion personnelle : admettons qu’une monnaie officielle n’existe pas et que nous soyons aux aurores de la civilisation. J’entends par là que les Hommes ne sont plus des nomades, mais qu’ils se soient déjà sédentarisés et aient commencé à « planifier » leur destinée par la création de stocks alimentaires, car notre capacité à nous projeter dans le futur vient sûrement de la sécurité alimentaire en premier lieu. Nous sommes donc au sein d’une communauté relativement restreinte d’agriculteurs et d’éleveurs qui ne s’en sortent pas trop mal pour subvenir à leurs besoins.

Quelle forme de « monnaie » pensez-vous qu’ils aient pu utiliser ?   

Le crédit.

C’est la forme la plus naturelle pour nous les êtres humains. Celui qui produit du lait de chèvre en février m’en donnera une certaine quantité et notera une « valeur » correspondante à cette quantité sur une barrette en os, disons trois petits traits verticaux. Il sait que moi, producteur de blé, serais en mesure de lui donner la « contre-valeur » en blé au mois de septembre. L’échange est fait, les prix et les quantités ont été fixés en fonction de l’offre et de la demande et la transaction a été notée. Je peux consommer du lait de chèvre en février sans attendre la récolte de mon blé en septembre. La monnaie « privée » est née, elle est certes rudimentaire, des signes sur un os, mais elle est bien là avec toutes ses caractéristiques. Continuons : certains habitants du village ne sont ni éleveurs ni agriculteurs, mais sont chargés par la communauté de garder le village propre, réparer les habitations, monter la garde au bétail et au stock alimentaire. D’autres encore ne font absolument rien, mais sont considérés des grands prêtres en mesure de demander aux dieux de protéger le village de calamités naturelles et les cultures des intempéries. Ils savent aussi en observant les mouvements des astres quelles sont les meilleures périodes pour semer. Tous ces gens sont accrédités pour le travail par la communauté en fonction de la valeur ajoutée perçue pour leurs fonctions. La monnaie publique est elle aussi née au sein du village. Les deux sont du crédit, des annotations comptables de qui a fait quoi et pour quelle valeur. Avec les crédits reçus, tous pourront consommer la production de biens et services en fonction de la valeur librement perçue par la communauté pour chaque contribution individuelle. Si le grand prêtre, par exemple, ne consomme pas tous ses crédits, il pourra les conserver pour une consommation future. Dans un langage moderne, nous dirions que le grand prêtre s’est constitué une épargne qui n’est autre qu’une consommation différée d’une production déjà réalisée, capturée formellement dans la monnaie crédit publique que nous appellerions aujourd’hui « dette publique ». Son apparition au sein des premières communautés humaines s’explique tout simplement par la spécialisation du travail, la production différée de la nature (les saisons) et la capacité à créer un stock, alimentaire initialement puis de plus en plus complexe par la suite.

Finalement, nous avons cerné la nature de la monnaie, le crédit, et quelles sont les propriétés qui la rendent telle. Cette forme naturelle de monnaie est coextensive de l’échange et n’en altère pas les termes, ce qui empêche toute possibilité d’exploitation de l’Homme par l’Homme.

L’échange est ce qui permet par la spécialisation du travail un accroissement qualitatif et quantitatif de la production au sein d’une communauté d’êtres humains et plus généralement un besoin dicté par notre propre génétique, la monnaie crédit en est sa formalisation.

Que les populations aient utilisé en ces temps anciens des marchandises aussi variées que des signes sur des ossements, des coquillages, des graines et plus tard des métaux pour représenter la monnaie n’était qu’une nécessité matérielle de pouvoir garder une trace de ce que l’on appellerait aujourd’hui un livre comptable à une époque ou l’écriture et le papier n’avaient pas encore été inventés.

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