« Si nous voulons que tout reste comme avant, tout doit changer. »

Cette phrase prononcée par le vif Tancrède, dans le Guépard, avec l’espoir de raisonner son noble oncle Don Salina, alors inquiet de voir son rôle et celui de tous les Bourbons disparaitre dans les méandres du temps, illustre brillamment l’objectif des changements de paradigmes qui s’opèrent au sein de nos sociétés. Un délicat glissement de pouvoir d’une classe usée par les siècles à une nouvelle plus féroce et aguerrie. Pourtant les acteurs de ces révolutions ne semblent pas si lointains les uns des autres, tout comme un Zeus arrachant le trône à son père, il est plus raisonnable d’imaginer que ces nouveaux maîtres ne sont autres que les fils des précédents qui pour illustrer leur gloire à leurs sujets, se livrent à un spectacle guerrier avant de pouvoir les surplomber.

Ce plongeon à l’aurore de nos démocraties modernes nous rappelle que depuis des siècles voir des millénaires, les glissements de paradigmes de nos civilisations ne servent qu’à effectuer un changement de maître, mais qu’en aucun cas, ils ne remettent en question les mécanismes profonds de nos structures hiérarchiques.

Sic transit gloria mundi — Ainsi passe la gloire du monde disaient les Romains au sommet de leur art. Pourtant il me semble plus judicieux, au vu de notre Histoire moderne, de remettre cette maxime au gout du jour : Sic manet gloria mundi — Ainsi reste la gloire du monde.

Le 5 mai dernier a marqué le bicentenaire de la mort de Napoléon 1er et ce fut l’occasion pour nous tous de redécouvrir ce grand général, réformateur, politicien et pourrions-nous dire muse au vu des inspirations poétiques qu’il aura su inspirer… En bref ce grand homme a, à lui seul, su changer les modèles qui régissaient la France depuis plus de trois siècles. Il demeure néanmoins une interrogation forte ; quels sont les changements structurels apportés par le petit caporal ou même par la glorieuse révolution l’ayant précédé ?

Si nous essayons de décrire brièvement la situation géopolitique de l’époque, nous pourrions dire qu’avant Napoléon 1er il y avait la société d’Ancien Régime qui, depuis la fin du XVIe siècle, était simplement organisée autour d’une minorité de nobles et grands bourgeois se partageant les ressources et richesses du pays. Puis la révolution et avec elle la fin de la célèbre phrase apocryphe « l’état c’est moi » prononcée, dit-on, par Louis XIV. Dorénavant l’état c’est nous ! Du moins certains d’entre nous, du moins pendant huit ans. Ensuite vint le Premier Empire, accompagné de sa classe dirigeante. Sa chute marqua un léger ralentissement voire un retour en arrière des évolutions idéologiques puisqu’il fallut attendre 1848 pour apercevoir les balbutiements d’une république moderne accompagnée de manière surprenante d’un président inconnu de tous, un véritable Tartempion. Vous l’aurez compris, Napoléon III devint le premier et seul président de la deuxième République française. Non pas par une manœuvre militaire, mais par un véritable suffrage républicain.

Surprenante constatation, « Le peuple a le droit à la liberté, mais n’a pas de droit sur la liberté. » prévenait Hugo huit ans auparavant, le peuple est libre de choisir qui le commande, mais en aucun cas il n’a été libre de ne pas être commandé. Il est toutefois vrai que la contribution à la France moderne de Napoléon III n’est pas des moindres, il a posé les bases de la croissance économique nationale ainsi que de l’aménagement du territoire. Personnage pivot par excellence, il incarne à lui seul les tournants historiques majeurs du XIXe siècle en passant de président à monarque.

Il est souvent possible d’entendre que cet oxymore qu’était Napoléon III marqua la prise de conscience du peuple français en accentuant sa volonté démocratique. Toutefois, bien qu’au tournant de l’année 1870 est votée la troisième République française, cette dernière demeure ardemment soutenue par une Assemblée constituée pour la majeure partie de notables royalistes. Encore une fois, les postes de pouvoir semblent maintenus, si ce n’est par les maîtres mêmes, au moins par leurs grands vizirs.

Mais alors que dire de l’impact de la grande Révolution de 1789? Aura-t-elle provoqué une réelle volonté de changement social ou un simple glissement sémantique où le sujet devient citoyen et le roi se désincarne pour devenir une entité éthérique que l’on nommera gracieusement État ?

Après tout, le diable ne réside-t-il pas dans les détails ? Car oui, les détails changent tout dans les méthodes. Il aura suffi que la science cesse de vouloir confirmer ses hypothèses, mais au contraire les infirme pour nous envoyer sur la Lune en quelques siècles.

Quels motifs, si ce n’est ceux exposés pas Adolf Thiers lui-même, auront poussé une élite royaliste à abandonner le pouvoir pour la grâce du peuple ? Le pouvoir incarnant finalement la « volonté » du peuple, il devint impossible de s’opposer à lui, au risque de passer pour un fou souhaitant restreindre les libertés des citoyens. Ainsi, le parlement peut librement éliminer une autorité supérieure pour garantir son propre salut et au passage son compte en banque. Finalement, la noblesse non plus n’était pas éternelle et devait tant bien que mal assurer l’administration de ses ressources pour maintenir sa position. Les familles se sont succédé les unes après les autres en s’usurpant les titres et les richesses au même titre que nos actuels industriels qui pratiquent à leur manière un héritage millénaire de hiérarchisation et stratification de nos sociétés. Finalement Tancrède avait vu juste, on naissait et restait noble pour le salut du roi tout comme l’on naît et reste bourgeois pour le salut de la république. La haute bourgeoisie devient inexorablement la main exécutive du pouvoir et subsiste tant que l’administration des richesses satisfait le roi. Puis un jour, lui faisant défaut elle est remplacée par ses fils ô combien différents ! Constatons que ces phénomènes sont loin de nous être propres, que ce soit la révolution russe ou chinoise, la dynamique reste la même, on remplace le noble par le bourgeois ou cadre du parti et on le substitue dès qu’il nous fait défaut par son successeur le plus fort.

Nous y voilà enfin, les années ont passé et comme nous l’avons dit plus haut, Sic manet gloria mundi. Peu gouvernent et nombreux est le peuple. La Cité, avec tous ses codes, demeure inébranlable et juste.

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